"On peut être un Africain engagé pour le développement du continent et la consolidation d’institutions démocratiques, où que l’on soit".
Nicolas Simel présente Terangaweb, une association indépendante qui vise à promouvoir le débat d’idées et la réflexion sur des sujets liés à l’Afrique et publie des articles de qualité sur le continent. Il nous parle de aussi de la jeunesse africaine et de son engagement.
Nicolas,
pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Sénégalais et ai effectué
toute ma scolarité au Sénégal jusqu'à l’obtention de mon baccalauréat en
juillet 2006. J'ai ensuite été admis en hypokhâgne (classe
préparatoire littéraire aux grandes écoles) au Lycée Louis le Grand à Paris, avant
d'intégrer Sciences Po en 2007. Après mes deux premières années à Sciences Po,
je suis parti à Casablanca où j'ai travaillé au sein de la Chambre Française de
Commerce et d’Industrie du Maroc (CFCIM) comme chargé d’études, ce qui m'a
permis d'avoir une première vision sectorielle d'une économie en développement.
A mon retour à Paris en 2010 j’ai été admis dans le Double Master en Management
Public et Privé, qui est un programme conjoint entre Sciences Po et HEC Paris. Cette formation m’attirait beaucoup car il me semble
de plus en plus nécessaire de bien connaitre à la fois les secteurs publics et
privés et de mieux appréhender les interactions qui existent entre ces deux
sphères. Cette complémentarité reste particulièrement vraie en Afrique où le
secteur public continue de jouer un rôle important y compris dans la sphère
économique. Dans le cadre de ce double diplôme, je viens de terminer une année
de césure au cours de laquelle j’ai effectué deux stages, d’abord en analyse
financière chez SFR (2ème opérateur de téléphonie en France) puis
dans la practice Conseil Secteur Public Afrique du cabinet Deloitte.
Qu’est-ce
qui vous a amené à créer Terangaweb ?
L'Afrique constitue pour moi un
centre d'intérêt majeur que j'essaie de nourrir de diverses manières, notamment
à travers la vie associative. C’est dans ce cadre que j’ai été amené à créer,
en janvier 2009, Terangaweb qui constituait au départ un blog traitant de
sujets économiques, politiques et culturels relatifs au Sénégal. Mon objectif
était alors de contribuer à ce que la jeunesse sénégalaise prenne davantage
conscience des enjeux de développement qui se pose à notre pays. C’était une
période très intéressante, après la réélection d'Abdoulaye Wade en 2007 et dans
le contexte des élections municipales de 2009. Ces municipales suscitaient d’ailleurs
beaucoup d’intérêt puisque le fils du président était candidat aux élections municipales
à Dakar. Tout le monde savait que cette candidature constituait un tremplin
politique pour ce qu’on dénoncera plus tard comme une tentative de dévolution
monarchique du pouvoir. Pour moi, il était important de contribuer à faire en
sorte que la jeunesse soit un acteur majeur du débat public.
Un
projet sénégalais à l’origine, mais qui est devenu africain. Pourquoi ?
En nous cantonnant uniquement au
Sénégal, cela devenait vraiment dommage de passer tous les jours à côté de
sujets intéressants concernant l’Afrique. Il nous apparaissait d’ailleurs de
plus en plus clairement que les enjeux de développement qui mobilisent le
continent se posent avec la même acuité à l’ensemble de l’Afrique d’une part et
que d’autre part l’échelle sous régionale, voire continentale, offrait les
approches les plus intéressantes pour les questions de développement. Se
concentrer sur le Sénégal revenait à tomber dans le travers de la balkanisation
politique de l'Afrique qui handicape le développement du continent du fait,
entre autres, d’une juxtaposition de petits marchés nationaux.
Et puis notre équipe s’est vite élargie
bien au-delà du Sénégal. La diversité des sujets que nous souhaitions traiter
s’est assez rapidement reflétée dans la composition de notre équipe avec des
membres de divers pays africains tels que le Sénégal, le Rwanda, le Bénin, la Côte
d’Ivoire, le Cameroun, l’Algérie, le Burkina Faso. Nous souhaitions renouer
avec cette période très féconde qui a suivi les indépendances où beaucoup d’Africains
avaient milité ou combattu ensemble et pris l’habitude de beaucoup échanger. A
cet égard, Terangaweb souhaite contribuer à faire tomber les barrières qui se
sont reconstituées dans les années 1980 et 1990 entre les pays africains, entre
l’Afrique anglophone et l’Afrique francophone, entre l’Afrique du Nord et
l’Afrique subsaharienne.
Enfin, en élargissant Terangaweb
à l’ensemble de l’Afrique, nous avions aussi voulu répondre aux attentes de
notre lectorat. Lorsque nous avons lancé Terangaweb, on trouvait de nombreux
blogs personnels sur l'Afrique mais pas de plateforme publique pour le débat d’idées.
C’est la volonté de combler ce manque et de proposer à nos lecteurs, d’où
qu’ils soient, une plateforme multidimensionnelle, qui est à l’origine de la
nouvelle mouture de Terangaweb : une Afrique des idées politiques,
économiques, sociétales, culturelles à travers les articles d’analyse que nous
publions chaque jour.
Un
article par jour, c’est ambitieux ! Comment fonctionnez-vous ?
Terangaweb s’est constitué depuis
2 ans en association de loi 1901 qui rassemble aujourd’hui une cinquantaine de
membres, dont une vingtaine appartient à l'équipe de rédaction. Chacun des
rédacteurs s’engage à rédiger au moins un article d’analyse par mois. D’autre
part, nous avons noué des partenariats avec des think tanks dont nous reprenons
les publications qui nous paraissent les plus intéressantes pour nos lecteurs. Notre
production interne combinée dans une moindre mesure à la reprise d’articles de
nos partenaires nous permet ainsi de proposer à nos lecteurs un article
d’analyse par jour.
Les trois rubriques qui
mobilisent le plus de rédacteurs sont l'économie, la politique et la culture. Mais
nous prenons soin d’alimenter les rubriques comme « Parcours » qui fait
découvrir des personnalités liées à l’Afrique, « Zoom sur un pays » qui
amène à se focaliser sur la trajectoire de certains pays africains ou
« Histoire » qui fait redécouvrir des personnalités ou événements
historiques qui ont marqué le Continent. Cette rubrique « Histoire » est
par exemple d’autant plus importante que nous apprenons souvent l'histoire de
l'Afrique à l'école élémentaire, à un âge auquel nous ne sommes pas forcément
prêts à en tirer le meilleur parti. Il est bon d’y revenir un peu plus
tard !
Envisagez-vous
de nouveaux développements ?
Outre
la rédaction d’articles d’analyse, les activités de notre structure
s’articulent aussi autour de l’organisation de conférences sur des enjeux de
développement liés à l’Afrique. Dans ce cadre, nous avons déjà organisé trois
principales conférences. Le premier portait sur le FCFA et la souveraineté
monétaire des Etats africains de la zone franc avec comme intervenants Lionel
Zinsou, Demba Moussa Dembelé, Nicolas Agbohou et Jacques Nikonoff. Le 2ème
traitait du rôle de l’écrivain dans nos sociétés, avec les écrivains Jean-Luc
Raharimanana et Yahia Belaskri
ainsi que Bernard Magnier, Directeur de la collection Actes Sud. Quant à la 3ème
conférence elle portait sur le décrochage de l'Afrique francophone, avec
notamment une intervention de l’avocat d’affaires sénégalais Barthélémy Faye.
Nos
prochaines conférences devraient porter sur la gouvernance économique en
Afrique, le financement de l’entreprenariat ou encore l’essor du secteur de
l’énergie. Nous réfléchissons désormais aussi à l’organisation de conférences
dans plusieurs capitales africaines. Etre présent en Afrique est important pour
nous, nous voulons montrer que, où que l’on soit, on peut être un acteur du
débat public africain et servir le continent.
Qui
vous lit ? Que comprenez-vous de vos lecteurs ?
Nous nous adressons à la jeunesse
africaine, aux étudiants et aux jeunes professionnels. Une moitié de notre
lectorat se trouve en France mais nous n'avons pas vocation à nous adresser
exclusivement aux diasporas. Je crois que nos lecteurs partagent notre
engagement pour l'Afroresponsabilité. L'Afroresponsabilité
c’est d'abord considérer qu'il y a un effort d’analyse et de rigueur nécessaire
pour comprendre les enjeux du développement, avant d’agir et de militer. C'est
ensuite dire que l'Afrique nous appartient et que c'est à nous, Africains, de relever
les défis qui se posent à elles.
Qu’est-ce
qui intéresse le plus vos lecteurs ?
Les articles politiques attirent
beaucoup de réactions, on l’a vu avec nos publications sur la situation au Nord
du Mali. L’audience de ces publications montre d’ailleurs que les africains ne
s'intéressent pas seulement à ce qui se passe dans leur propre pays.
Pour la rédaction, les questions
économiques sont essentielles si on veut avancer des idées pour aider à améliorer
les conditions de vie des populations africaines et au-delà de la croissance
économique, faire en sorte que l’Afrique génère un développement soutenu et
inclusif. D'ailleurs nos lecteurs réagissent moins mais nous disent beaucoup
apprendre de nos articles économiques.
Vous
vous adressez à la jeunesse africaine, sentez-vous un engagement fort de cette
jeunesse ?
Oui, avec le sentiment que les
défis qui se posent à l’Afrique doivent être relevées par sa jeunesse et non
pas laissés aux partis politiques classiques, encore moins à une classe de
dirigeants octogénaires. Avec près de 200 millions de personnes âgées entre 15
et 24 ans, l’Afrique compte aujourd’hui la population la plus jeune du monde.
Selon les derniers des Perspectives Economiques en Afrique, le nombre de jeunes
en Afrique aura doublé d’ici 2045. Or, la moyenne d’âge des dirigeants
africains reste la plus élevée du monde. Peut-on encore incarner les
aspirations de la jeunesse africaine lorsqu’on se nomme Mugabe, Biya, Dos
Santos ou encore Bouteflika ? Au-delà donc des alternances démocratiques,
il est nécessaire de tendre de plus en plus vers des alternances
générationnelles comme vient d’ailleurs de le faire le Sénégal avec l’élection
du Président Macky Sall.
Quel
rôle peuvent jouer les diasporas dans cet engagement ?
On peut être un Africain engagé
pour le développement du continent et la consolidation d’institutions
démocratiques, où que l’on soit. On voit bien que les diasporas, outre leur
apport financier considérable à travers les transferts d’argent, se mobilisent
et jouent un rôle politique important, comme l'a fait celle du Sénégal lors des
dernières élections présidentielles. Il existe en outre une sorte de bataille
symbolique sur la représentation de l’Afrique qui se joue
à chaque instant, partout dans le monde, et pour laquelle chaque africain, où
qu’il soit, a un rôle important à jouer.